Un regard élargi et nouveau sur l’anorexie mentale,
au-delà du trouble du comportement alimentaire
Cet article s’adresse particulièrement à toutes les personnes anorexiques ou l’ayant été, mais aussi :
- à l’entourage familial et amical, et aux soignants.
- aux personnes qui, sensibilisées, pourront relayer l’information afin de contribuer aux prises de conscience de tous et à davantage de prévention.
- aux personnes susceptibles de basculer dans l’enfer mental de l’anorexie.
Je prends ici l’exemple d’une jeune fille anorexique pour tenter de brosser un portrait type du contexte, de la personnalité et de la maladie telle qu’elle se déroule habituellement.
Fondements de cet article – Approche globale systémique
Depuis plus de 2 ans, je me suis impliquée dans les milieux d’accompagnement et d’entraide de l’anorexie mentale avec le souhait très fort de comprendre pour mieux pouvoir aider. Ma conclusion est que cette problématique très complexe ne peut s’appréhender qu’en approche globale systémique car il est clair pour moi que le trouble du comportement alimentaire n’en est que la conséquence, la « partie visible de l’iceberg ».
Mon approche alternative n’a aucune prétention de justesse absolue ni d’exhaustivité. Mais elle me semble suffisamment cohérente et pertinente pour être partagée. Elle propose un regard différent, une perspective élargie aux personnes prisonnières de l’enfer mental de l’anorexie et contribuera, je l’espère, à susciter l’impulsion de volonté de s’en sortir, avec l’aide de leur entourage familial et soignant. Je souhaite aussi que cette approche participe aux prises de conscience de tous et à davantage de prévention.
J’ai accompagné pendant plusieurs mois des équipes d’animation de l’association VMEH (visite des malades à l’hôpital) pour des séances de travaux manuels auprès d’adolescents hospitalisés et, bien qu’aucun échange sur leur maladie n’est permis dans ce cadre, regarder vivre plusieurs jeunes filles anorexiques et me relier en particulier à l’une d’elle dont la dégradation de santé « à vue d’œil » m’avait particulièrement bouleversée m’a permis de comprendre très vite que l’anorexie est un suicide à petit feu.
En effet, par la privation alimentaire, l’adolescente en mal-être se coupe volontairement de son corps et de la Vie, parce qu’elle refuse la vie telle qu’elle la perçoit et cela produit une déconnexion de soi (de son être profond) et de la réalité, ce qui la fait basculer dans la spirale infernale de l’anorexie mentale.
J’ai également participé à plusieurs réunions, groupe de parole et conférences-débats de réseaux d’entraide, j’ai une veille thématique constante sur le sujet, et j’ai entendu ou lu pas mal de témoignages sur le vécu d’anorexiques ou d’anciennes anorexiques, qui n’ont fait que conforter mon sentiment à ce sujet.
Conditions optimales d’une vie saine, satisfaisante et équilibrée
La vie est une expérience globale et notre corps est notre (merveilleux) outil d’expérimentation pour la vie : tout passe par là.
Notre corps est notre meilleur ami et notre guide ; il ne ment jamais et porte en lui toute l’intelligence de Vie. Nos émotions et notre intuition non plus ne mentent jamais. Suivre leur guidance à chaque instant présent est le meilleur moyen de vivre une vie saine, pleinement satisfaisante et équilibrée.
Le seul qui nous « mène en bateau » dans un monde de pièges et d’illusions qui entraînent toutes souffrances, c’est notre égo ou mental conditionné. Tant que nous ne sommes pas relié à notre être profond, nous sommes plus ou moins à la merci de l’égo. Car seul notre être profond peut nous révéler que nous sommes bien plus que ce corps et ce flux mental.
Contexte et typologie de personne favorisant l’anorexie
Notre société moderne occidentale donne un contexte bien trop propice à cette déconnexion de soi et de la vie : société très matérialiste, souvent superficielle, faisant une grande place à l’intellect et au virtuel, favorisant les aspirations à la soi-disant perfection par la dictature de la mode, de la beauté, de la minceur (quand ce n’est pas de la maigreur extrême). Dans ce cadre, les apparences et le regard des autres comptent alors bien plus que la nature profonde et ce qui se vit intérieurement.
Voici la combinaison de causes et conditions que j’ai pu rassembler pour essayer d’expliquer l’entrée dans l’enfer propre à l’anorexie. Généralement, l’adolescente a :
- une personnalité peu construite (qui se conforme davantage aux autres) et n’a pas trouvé de sens à sa vie ni découvert et développé ses talents et spécificités. D’où un manque d’estime de soi,
- des idéaux et aspirations très élevés,
- une sensibilité exacerbée,
- et un niveau d’exigence très élevé qu’elle applique surtout à elle-même d’ailleurs (perfectionniste).
Souvent très entourée et protégée dans sa petite enfance, elle a beaucoup de mal à vivre la transformation de son corps à l’adolescence, à accéder à l’autonomie (grande dépendance à son milieu social et au regard des autres), et à affronter la réalité du monde qui ne correspond pas à ses idéaux. Elle se voudrait « pur esprit » et refuse (sans doute inconsciemment) de s’incarner pleinement pour vivre vraiment sa vie.
Elle rejette la nourriture parce qu’elle a un besoin extrêmement profond d’une autre « nourriture » plus spirituelle. L’extrême mal-être qui conduit à l’anorexie est quelquefois appelé « cancer de l’âme ».
Entrée dans la spirale infernale du mental spécifique à l’anorexie
Voici ma compréhension de la situation qui conduit à l’anorexie mentale, et du vécu de la maladie.
Suite à un ensemble de causes et conditions et éventuellement un facteur déclenchant et sur la base de perceptions erronées, la jeune fille en mal-être choisit de se positionner (révolte pour remédier à son impuissance ?) et de prendre le contrôle de son corps (et donc de sa vie ?) en le privant volontairement de nourriture.
Elle désinvestit sa dimension physique, n’entend plus les messages et alertes de son corps, et se coupe aussi pas mal de sa dimension émotionnelle (émotions et peurs) car elle éprouve le besoin de se protéger en raison de sa très grande sensibilité.
Le problème est que, en se coupant de son corps, en ne répondant plus à ses besoins essentiels de nourriture, elle se déconnecte aussi de la réalité et met le pied dans un engrenage infernal où elle vit principalement dans sa dimension mentale (avec ses pièges et illusions), source de toutes les souffrances, dont l’issue fatale peut se décrire en douleurs et souffrances, enfermement dans les illusions, impasse… et quelquefois mort.
Le mental conditionné (que l’on appelle aussi égo), la part de nous qui veut tout contrôler et avoir toujours raison, crée des images idéales, des images de perfection. La jeune fille souffre alors du fossé existant entre cet idéal et la réalité. Elle vit dans un monde d’illusions où elle voudrait tout contrôler : son corps, les autres qu’elle essaie d’influencer voire de manipuler, quelquefois même le passé qu’elle nie en espérant le changer. Elle « se fait des films » qui n’ont aucune réalité sauf dans sa tête mais elle croit être dans le vrai et souffre des conséquences de ses scénarios.
Je conseille d’ailleurs à l’entourage, qui se sent totalement impuissant et souffre au moins autant sinon plus, d’entrer le moins possible « dans le jeu » de l’anorexique, c’est à dire de la laisser au maximum « subir les conséquences » de ses scénarios (ça peut aider au « réveil »). En tout cas, de ne pas centrer l’attention familiale uniquement sur l’anorexique et de continuer à vivre leur vie le plus normalement possible (tout en lui accordant réconfort et dialogue). Car se laisser entraîner dans son enfer ne l’aidera pas à en sortir.
Au début, le corps qui maigrit est pour elle un succès, une victoire ; de plus, elle aime les sensations liées au jeûne qui lui donne une belle énergie. Mais dans la durée, elle se trouve prise au piège et poursuit ce jeu dangereux et morbide sans conscience ni peur, semble-t-il, des conséquences. Elle vit dans un monde virtuel mais les conséquences sur son corps sont bien réelles et désastreuses. Cela commence par un non-respect de soi et de ses besoins essentiels et une violence sur soi qui s’accentue encore dans les cas d’anorexie-boulimie vomitive. Peu à peu, les effets sur son corps sont multiples : d’abord carences, puis dysfonctionnements et séquelles graves, jusqu’à ce que mort s’en suive si la jeune fille ne trouve pas, avant qu’il ne soit trop tard, une solide motivation à s’en sortir, suite à un déclic, un choc suffisant, un écœurement profond… Car malgré les souffrances endurées et la détresse (l’anorexie est souvent associée à la dépression et aux tendances suicidaires), elle semble trouver des « bénéfices » de poids à sa situation. Et là est le principal obstacle à sa guérison.
Or, les soins médicaux et l’entourage peuvent grandement aider mais ne sont pas suffisants tant que la jeune fille n’a pas choisi la voie de la guérison, que j’appelle la voie de la réconciliation parce-que c’est une trajectoire personnelle.
Par ailleurs, sa pensée plutôt rigide, ancrée dans le mental conditionné (qui génère culpabilité, punitions, marchandage et produit aussi l’obsession du comptage et les TOC), s’accommode assez bien des règles et contrats d’une hospitalisation. La personne donne pourtant le sentiment de subir les soins, détachée comme si cela était étranger à elle-même. J’ai même lu du triomphalisme dans les yeux d’une femme alors qu’elle me disait que plusieurs mois d’hospitalisation n’avaient rien pu faire pour vaincre son anorexie.
Comment sortir de l’enfer mental propre à l’anorexie ?
Il semble qu’un choc, un écœurement ou quelque chose de fort ou profond soit nécessaire pour « réveiller » l’anorexique dans son monde virtuel et à l’amener aux prises de conscience indispensables à une vraie et forte impulsion de volonté de se reconstruire, qui la conduira sur le chemin de la guérison.
Outre les soins médicaux habituels, pour l’entourage et le personnel soignant qui l’accompagne, l’urgence pour l’aider est de redonner à la jeune fille l’envie de vivre, l’envie de se réconcilier avec son corps et avec la Vie.
Cette réconciliation ne peut se faire que de l’intérieur en se reconnectant à son être profond.
Puisque la nourriture est le point de blocage, il faut inciter l’adolescente à « sortir du mental illusoire », à se reconnecter via son corps à son être profond et à revenir dans « le courant de la Vie » dans l’instant présent. Pour cela, il convient de focaliser son attention sur autre chose que la nourriture, en lui proposant (selon ce qui l’attire) une multitude d’activités avec les objectifs suivants :
- Des explorations sensorielles : observation fine (par ex. d’animaux), quiz d’odeurs et de saveurs, reconnaître par le toucher, musicothérapie, bains de sons thérapeutiques…
- Tout ce qui peut rétablir le lien entre son corps et la nature : marcher pieds nus, nager, escalader, jardiner, sorties en mer, en forêt….
- Tout ce qui peut lui permettre de renouer avec la joie de vivre, le plaisir.
- Tout ce qui peut l’aider à se réconcilier avec son corps de l’intérieur c’est à dire une activité physique associée au ressenti corporel et au souffle (danse, GRS, massage, yoga, qi gong, …), des soins énergétiques et des exercices de pranayama (exercices avec le souffle qui lui permettront de retrouver sans se priver une belle énergie vitale équivalente à celle procurée par le jeûne).
- Tout ce qui peut l’aider à renouer avec son monde intérieur : se relier à ses émotions et les exprimer ; développer ses ressentis corporels et son intuition.
- Découvrir de nouvelles activités (sauf intellectuelles), par exemple la plongée sous-marine (très riche en apport multiples) mais aussi manuelles et créatives comme la poterie.
- Rétablir avec elle un dialogue vrai et lui permettre d’apprendre une méthode de communication saine et constructive (ex. : méthode J. Salomé ou Communication Non Violente) où elle pourra dissocier l’exposé des faits de l’expression de ses ressentis, sentiments et besoins.
Et en même temps, de répondre à ses aspirations profondes de vraie spiritualité (dimension de l’être profond et du Coeur-Esprit) : donner du sens, diverses sources d’inspiration, expérimentations de ressentis subtils et de reliance énergétique, ouverture aux autres et actions altruistes, implication dans des projets en phase avec ses idéaux et valeurs…), seule capable de « nourrir » ses besoins essentiels profonds.
Ici, je m’adresse directement aux anorexiques ou ex-anorexiques :
Est-ce que mon approche te « parle » et fait sens pour toi ?
Quelques recommandations supplémentaire pour ton chemin vers la guérison :
Affirmation positive vers la guérison :
Au quotidien, cesse de te dire : « Je lutte au quotidien contre l’anorexie ». Installe plutôt en toi l’intention-pensée suivante : « Chaque jour, je me réconcilie davantage avec moi-même, avec mon corps et avec la Vie ».
Tu peux l’écrire en couleurs plusieurs fois, l’afficher dans ta chambre, la dire. Plus tu t’en imprègnes, plus tu vas aller vers cette réalité qui te guérira (avec l’aide de tes autres soins bien sûr).
L’exercice simple de yoga avec le souffle, appelé l’arbre
pour te réconcilier avec ton corps, le ressentir de l’intérieur et sentir la reliance avec Terre et Ciel.
La prévention de l’anorexie mentale… le meilleur remède
Je souhaite que mon article contribue :
- à élargir la compréhension de tous sur les causes et conditions de survenue de cette maladie.
- à trouver de nouvelles pistes d’amélioration permettant de mieux accompagner les personnes qui en sont victimes.
- à ce que davantage de prévention soit mise en œuvre, au sein des familles, des établissements d’enseignement, des structures de loisirs des jeunes.
Outre ce qui a déjà été indiqué comme facteurs favorisant d’une part la maladie et d’autre part la guérison, il s’agit principalement d’encourager l’enfant et le jeune adolescent :
- à habiter pleinement son corps et ne pas se soucier uniquement de son apparence : c’est par le ressenti intérieur qu’on apprend non seulement à accepter son corps mais aussi à l’aimer pleinement et à en prendre soin.
- à définir et affirmer sereinement sa personnalité et à cultiver sa différence : talents, spécificités (estime de soi)
- à l’encourager à donner du sens à ses actions et à sa vie
- à exprimer sa créativité, ses aptitudes, talents, ressentis, émotions et à développer son intuition (voir article)
- à apprendre la communication saine et constructive pour pouvoir exprimer ses ressentis, émotions et besoins. Et favoriser le dialogue.
- à progresser vers l’autonomie par l’expérimentation, en n’omettant pas de lui faire comprendre que « acceptation, frustration et échec » font partie intégrante du processus d’apprentissage. Ce qui a pour effet d’augmenter la confiance en soi et l’indulgence (au lieu des exigences).
En outre, ce programme lui donnera bien évidemment à jamais des avantages décisifs pour se construire la vie qui lui convient et être heureux.
Conclusion et appel à témoignages et commentaires
Je continue bien entendu mes recherches-accompagnement dans ce domaine et j’aimerais recueillir en retour des commentaires sur cet article, des avis sur le regard élargi et nouveau que je porte sur l’anorexie mentale.
Merci de me préciser si tu es anorexique ou si tu l’as été. Si tu l’as été et t’en es sorti(e), j’aimerais que tu me dises quel événement ou parole plus ou moins marquant ou subtil a été le facteur déclenchant qui t’a permis de décider de t’en sortir.
Les avis et commentaires de parents ou soignants sont aussi bien sûr bienvenus.
Je partagerai ces informations avec les réseaux d’entraide et soignants avec lesquels je suis en lien.
Je dédie tout spécialement cet article à Aurélie, Hélène et Christelle,
avec amour.
Écrit par Corinne TUAL pour Surfe la Vie – © août 2013
Je n’exerce plus professionnellement mais de 2014 à 2016, j’ai proposé un accompagnement personnalisé aux personnes souffrant d’anorexie-boulimie dans le cadre de mon activité Flamme de Vie. Au delà du TCA (trouble du comportement alimentaire), il visait à lever les barrages du mental et à reconnecter la personne à son être profond dans son corps, et l’aider à se réconcilier avec la vie.
Fin juin 2015, j’ai publié un 2e article sur l’anorexie (axé accompagnement de l’anorexie incluant l’entourage) :
Anorexie : un remède nécessairement familial
Le lien de cet article a été relayé par Solidarité Anorexie-Boulimie Morbihan dans le bulletin mail d’information de septembre 2013 de la FNA-TCA (Fédération Nationale des Associations liées aux troubles du comportement alimentaire) avec le texte suivant en page 2 : « Sur le site Surfe la vie, un article complet et passionnant de Corinne Tual rencontrée à plusieurs reprises à Vannes (Morbihan) : « une main tendue à l’anorexie, un regard élargi et nouveau au-delà du trouble du comportement alimentaire ».
FNA-TCA bulletin_sept2013_19
Une affiche a été réalisée conjointement avec Solidarité Anorexie-Boulimie Morbihan pour faire connaître cet article et contribuer ainsi à faire connaître l’anorexie et les moyens de sa prévention.
Solidarité Anorexie-Boulimie Morbihan m’avait référencée comme personne-ressource de confiance.
12 réponses à Main tendue à l’anorexie mentale